J'aurais aimé...

J’aurais aimé Manosque et la Provence comme berceau de mon enfance !
J’aurais aimé séjourner au Paraïs !
J’aurais aimé avoir 20 ans au Contadour pour vivre la grande aventure ! Lire la suite...
Affichage des articles dont le libellé est Digne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Digne. Afficher tous les articles

mercredi 27 novembre 2013

Jean Giono en amitié, Maria et Ernest Borrely


Instituteurs, écrivains, engagés, résistants...


 "Les Borrély sont dans ce village comme dans la vie : à l'extrême pointe, en dehors de tous les abris". Jean Giono



Maria Borrély (source internet) 

Maria Brunel est née à Marseille le 16 Octobre 1890 dans le quartier des Chartreux, elle passe son enfance à Aix puis à Mane dans les Basses Alpes, brillante élève de l'école normale d'institutrices de Digne, Maria est nommée en 1909 institutrice à Certamussat, ce village dominait l'étroite route montante en direction de l'Italie via le col de l'Arche. En contrebas coule un torrent impétueux l'Ubayette, ce village sera détruit en 1944 par les troupes allemandes.
Bulletin des annales de haute-provence no 312


Le village de Certamussat (source internet)

 Maria dira : "...Je fus nommée institutrice au hameau de Certamussat, à 1600 m d'altitude... la nuit couchée dans mon lit étroit de jeune fille, j'étais effrayée par l'énorme vacarme de l'Ubayette, torrent impétueux, menaçant..."
Maria borrély, la vie passionnée d'un écrivain de haute-provence de Paulette Borrély


Cette année 1909 Maria rencontre Ernest Borrély, lui aussi instituteur, ils se marient en 1910 et un premier enfant naît en 1911, en Septembre 1912, le couple est nommé en poste double à Saint-Paul-sur-Ubaye.




Le village de Saint Paul
"Saint Paul-sur-Ubaye, merveilleux village alpestre à 1500m d'altitude.
Sur la petite place silencieuse où était notre école, les vaches conduites par un enfant venaient s'abreuver à la fontaine. Construit à flanc de montagne, le village surplombait l'Ubaye, magnifique torrent sonore, cristallin, puissant."
Maria Borrély, la vie passionnée d'un écrivain de haute provence - Paulette Borrély

La haute vallée de l'Ubaye




Le 16 Août 1914, Ernest part au front, Maria reste seule à Saint Paul, atteint d'une douloureuse maladie d'estomac Ernest est réformé en 1915, en Septembre 1918 ils obtiennent un poste double à Puimoisson (Basses Alpes) un deuxième fils, Pierre voit le jour en 1921.




École Maria Borrély de Puimoisson (source Google maps) 

"Un certain mercredi soir, à l'entrée de la nuit, à Puimoisson, à six heures du soir...tu naissais (...) et notre maison était toute craquante de bonheur."



Enthousiasmés à la lecture "d'un de Baumugnes" Maria et Ernest organisent des soirées de lecture auxquelles ils convient les villageois. Ernest prend l'initiative de contacter Jean Giono lui-même et de l'inviter à une de ces soirées, Jean Giono accepte, l'expérience lui plait, une solide amitié va naître.

"C'était bien rigolo !!"

A Maxime Girieux et Lucien Jacques :
"Il m'est arrivé la belle aventure d'être invité par un village, le village de Puimoisson, l'instituteur avait lu "Colline", il l'a fait lire dans le village. On m'a invité, j'y suis allé...ils m'ont fait raconté "Un de Baumugnes", je lai fait, moitié en Français, moitié en Provençal, c'était bien rigolo, l'instituteur pleurait dans son mouchoir. Un succès! "

Correspondance Jean Giono- Lucien Jacques- Gallimard

A André Gide :
"Il est vrai que par ailleurs, j'ai eu la très belle aventure d'être invité par tout un village. Le village de Puimoisson. On a discuté sur "Colline" et on a passé la moitié de la nuit avec le chasseur de sangliers du cru et le berger a discuté sur les terreurs des collines..."

Correspondance 1929-1940 André Gide-Jean Giono -hors série de la revue Jean Giono 

Maria écrit à son tour à Jean Giono :
"Je me disais, quand même, ce qui peut sortir du coeur d'un homme...

Baumugnes et Giono c'est un : le pain et le vin, la vigne mûre, le rayon débordant de miel, l'arbre du mois d'Octobre si chargé de bons fruits que ses branches cassent. Un parfum d'évangile. Merci et re-merci pour Baumugnes !"
Maria Borrély, la vie passionnée d'un écrivain de haute provence - Paulette Borrély




En 1929, Maria écrit son premier roman "Sous le vent" Elle dit alors à Jean Giono :
"J'ai terminé mon roman. Sur vos suggestions, j'ai changé le titre, il se dénommera "Sous le vent", j'ai confiance."

Jean Giono recommande  le manuscrit à André Gide, celui-ci est enthousiasmé et félicite Maria :
"J'ouvrais votre manuscrit, plein de crainte et dès les premières pages vous m'avez séduit, vous m'avez 'eu' comme l'on dit aujourd'hui. Je me préparais à de la sympathie...Ah! j'étais loin du compte. C'est vraiment d'admiration qu'il faut parler."
André Gide


Entre 1930 et 1936, Maria publie successivement "Le dernier feu"  ou l'histoire d'un village bas-alpin qui meurt et "Les Reculas" ou l'histoire d'un village de la vallée de l'Ubaye qui vit sans soleil plusieurs mois durant.


En 1933 Ernest est nommé à Digne,la famille s'installe au 3ème étage d'un immeuble du Boulevard Thiers, les deux premiers niveaux sont occupés par l'Hôtel de Provence ,Maria quittera l'enseignement  en 1936, malade et fatiguée elle est mise en retraite anticipée , elle se consacrera alors à d'autres études et écrira des poèmes.



l'immeuble et l'hôtel de nos jours

Jean Giono et le couple Borrély , outre la littérature ont  un autre point en commun : Ils sont des pacifistes convaincus et engagés, une raison de plus pour que naisse entre Jean et Ernest une solide amitié qui jamais, par la suite ne se démentira.

Jean Giono et Ernest Borrély
Les Borrély sont très engagés, parti communiste puis SFIO, en 1940 la résistance s'organise et Maria et Ernest s'en rapprochent. Pendant la guerre, la salle à manger du Boulevard Thiers devient le point de chute de la résistance, Ernest est arrêté, résistant actif il deviendra après guerre le premier président du Conseil Général jusqu'à sa mort en 1959.
D'après les annales de Haute Provence N°312 et le livre de Paulette Borrély cité ci-après.

Maria ne cessera de travailler et de lire jusqu'à la fin de sa vie en Février 1963, l'enseignement religieux reçu dans sa tendre enfance l'avait rattrapée, par ailleurs le communisme auquel elle adhère cependant lui paraît peut-être manquer d'envergure... 



Et pour terminer l'histoire de cette belle amitié :

"Combien de fois, troué par tous les vents, suis-je venu me faire arrangé par Borrély-Chef! Et avec quel soin il a choisi pour moi les papiers qui laissent passer la lumière !
Le propre de Borrély est de ne pas inventer ceux qu'il aime. Il n'y a pas au monde d'oeil plus clair, il n'y a pas derrière l'oeil, de mécanique mieux huilée. Du premier coup, il vous connaît comme s'il vous avait fait, et il vous aime tel que vous êtes, avec votre somme de défauts (...)"
Jean Giono - Extrait de la préface du "dernier feu" de Maria Borrély









"Plus beau qu'un massif de roses,
Le plus beau de mes poèmes
Gît au fond de moi
Je ne dirai pas cette chose.
Le plus vrai de mes poèmes
Gît au fond de moi
Je n'ose
Le traduire, ce poème,
Au fond de moi
Plus beau qu'un massif de roses 
Je n'ose
En l'exprimant il devient prose.
Mon beau poème
Ma foi
Mon poème,
Ma joie ! 
Reste au fond de moi."
Maria Borrély


A lire :
- "Maria Borrély, la vie passionnée d'un écrivain de haute provence" - Paulette Borrély- Paroles éditions
- "Sous le vent" - Maria Borrély - Paroles éditions
- "Les Reculas"- Maria Borrély - Paroles éditions
- "Le dernier feu" - Maria Borrély - Épuisé - 

lundi 29 avril 2013

" Un camp de concentration qui se trouve dans la montagne"


Saint-Vincent-les-forts

Ce village des Alpes de Haute-Provence est dominé par une forteresse Vauban et surplombe le lac de Serre-Ponçon


"A la libération, Jean Giono est accusé injustement de collaboration et  le 27 Septembre 1944 il est emprisonné à Digne, puis transféré à sa demande à Saint-Vincent-les-Forts dans une ancienne caserne qui sert à l'époque de prison. Il y restera jusqu'au 31 Janvier 1945".

"Pour sa vie d'homme dans l'histoire, il a pris le parti d'une sorte de neutralité. Du moment qu'il est impossible d'empêcher les hommes de se battre, il décide de retirer son épingle du jeu. (...) Méconnaissance des réalités de la zone occupée, difficultés financières, naïveté et imprudence de language aidant, cette position aura pour résultats, un reportage photographique dans la revue allemande "Signal"(1),et entre autres, la publication en feuilleton du roman "Deux cavaliers de l'orage" dans le journal "La Gerbe"(2).
Dans le même temps, il procure pendant toute le guerre aide et refuge dans sa propre maison à diverses victimes du nazisme et de l'occupation.
(...) Sa détention hors de Manosque sera due semble-t-il, tout autant aux accusations de collaboration portées contre lui qu'au souci qu'ont certains de le mettre à l'abri des vindictes locales".
D'après Giono, Un divertissement de roi d'Henri Godard


Le village de Saint Vincent aujourd'hui


"Fatigué d'être dans cette prison de Digne ou l'on ne peut se promener que dans de petites cours, je dis précisément à un des chefs de la résistance :
- Fais-moi envoyer à ton "camp de concentration" qui se trouve dans la montagne, à Saint-Vincent-les-Forts. J'y serai plus à mon aise, on y est en pleine nature, il y a des forêts".

Et il m'y envoie ! Et là, continue encore la prison comme celle dont je vous ai parlé, la prison militaire, à cette différence c'est que ce n'est plus une cellule, je suis avec des quantités de gens (...) du département que je connaissais presque tous et avec lesquels nous commençons à avoir une petite vie régulière.

(...) L'hiver s'approchait, nous étions à presque deux mille mètres d'altitude, il commençait à faire froid et nous avions organisé nous-mêmes des corvées pour aller chercher du bois.
(...) On partait tous les jours dans la forêt (...) on rentrait le bois, on le sciait, c'était extrêmement joyeux".
Jean Giono, Entretiens avec Jean Amrouche et Taos Amrouche


Plaque fixée sur le mur de la mairie de Saint Vincent

11 Novembre 1944

"A première vue, il semblerait qu'en prison on peut faire tout ce que l'on veut. J'avais décidé d'écrire ici chaque jour. On est en principe libre de son temps du matin au soir. En fait, dans ces prisons collectives, on est prisonnier de ses camarades. On assiège littéralement ma paillasse. Je n'ai ni le temps d'écrire ni la paix pour le faire". 
Jean Giono, Journal (publié en 1995 - bulletin n° 44 de l'Association des Amis de Jean Giono)


16 Novembre 1944

"De guerre las, dégoûté de combats et de débats, je ne lutte plus. Je ne regarde plus ni vers le passé, ni vers le futur. J'accepte le présent, la prison la non-vie ; il va y avoir peut-être encore deux ou trois petits sursauts de poissons tirés du filet, puis la belle immobilité, la rigidité dans ses propres écailles pétrifiées".
Jean Giono, Journal (publié en 1995 - bulletin n° 44 de l'Association des Amis de Jean Giono)


27 Décembre 1944

" Ce soir, j'ai fait une petite conférence sur la constitution de l'univers. Chambre enchantée. On me réclame une autre causerie pour demain. Je propose de la faire sur la vie de Cerventès et le Don Quichotte. J'essaie de me trouver de petits moyens à la Fabrice Del Dongo. Pauvres moyens. Je ne dispose pas de la hauteur de la chaire et de l'ornement ecclésiastique ni de l'auditoire qui remplit l'église. J'en suis réduit à l'imaginer caché dans un coin et m'écoutant".
Jean Giono, Journal (publié en 1995 - bulletin n° 44 de l'Association des Amis de Jean Giono)



La porte d'entrée du fort de Saint Vincent



Depuis le fort la vue magnifique sur le lac de Serre-Ponçon

(1) Revue "Signal" : Revue allemande qui pendant la seconde guerre mondiale servait de propagande

(2) Journal "la Gerbe" : Journal collaborationniste français crée en 1940