J'aurais aimé...

J’aurais aimé Manosque et la Provence comme berceau de mon enfance !
J’aurais aimé séjourner au Paraïs !
J’aurais aimé avoir 20 ans au Contadour pour vivre la grande aventure ! Lire la suite...
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lundi 9 mars 2020

Un cinquantenaire à la hauteur de l'homme...



Merci à Alain pour sa présence fidèle, son écoute et les bons moments,
Merci à mon amie Michèle Écochard pour avoir partagé toutes ces belles journées avec moi,
Merci à tous mes amis, Michèle et  André P. pour leur aide précieuse et leur écoute attentive,
Merci à Jacques Mény pour son immense savoir et son grand professionnalisme,
Merci à Jean-Pierre Darroussin pour les belles lectures qui n'ont fait que conforter mon admiration,
Merci aux amis du Paraïs d'avoir oeuvré dans l'ombre,
Merci à Sylvie Giono d'avoir permis tout cela... 
Merci le Mucem et merci Marseille !! 


Pour Nicolas... qui attend avec impatience de me lire...!


Exposition Jean Giono à Marseille 


 Cinquantième anniversaire de la disparition de l'écrivain 

Giono, l'âme forte de la Provence...(1)


Détail de l'installation 'Un cabinet d'amateur', Clémentine Mélois au Mucem


En arrivant gare Saint-Charles ...





En  arrivant gare Saint-Charles, quelques pas rapides sur le quai avant de s'arrêter sur le parvis, halte obligatoire, la ville est là à nos pieds. 
La bonne-mère veille sur l'ensemble, les tuiles roses se dorent au soleil et à l'horizon, la mer noire et argent éblouit l'oeil pas encore apprivoisé à tant de lumière.
Il suffit cependant de descendre les escaliers monumentaux, de courir irrésistiblement vers la Canebière et enfin, nous y sommes... le Vieux Port tout de bleu vêtu,  le marché aux poissons qui brade le reste de pêche du matin,  une armée de mâts qui cliquètent sous une légère brise,  chaque chose est à sa place, les terrasses de café s'animent, le "Ferry-boat" (Ferry boîte en marseillais) interpelle les passants pour un prochain départ,  le clocher des Accoules sonne l'heure et nous, eh bien nous, nous avions tout simplement oublié combien tout cela était BEAU...!! 








Oui nous y sommes...!! Je vais réaliser enfin, maintenant,  ce dont je rêve depuis quelques mois déjà !
Direction l'esplanade du Mucem. Et c'est parti pour quatre jours d'immersion dans le monde gionien... 





Lorsque au loin je distingue enfin son nom en lettres géantes sur la paroi de verre, quelle émotion, quel sentiment de fierté... 
J'ai tant espéré cet instant, c'est une belle aventure qui commence, une belle récompense et une grande reconnaissance...  Pendant 4 mois, de jour comme de nuit ces lettres ont brillé et comme le dit mon ami André Poggio (2)

" Pendant plusieurs mois le nom de Giono s'est imposé  à la vue d'autres milliers de touristes qui ne faisaient que se promener dans le quartier le plus spectaculaire de Marseille. Dans notre monde d'affichage, ce n'est pas rien."




De jours comme de nuit, l'hommage ...

Quelques photos des dessous chics du musée,  de son environnement majestueux et de son ouverture sur la "Grande Bleue". Tout cela avant la grande découverte...!!

















André Poggio, encore, a su mieux que personne trouver les mots  pour nous raconter le lieu : 

"Le plus grand mérite du Mucem est d'avoir été érigé dans un lieu merveilleux, entre les masses considérables du fort Saint-Jean et la cathédrale, avec la colline de Saint-Laurent et le Panier en contrefort, avec la mer comme échappatoire, oui le lieu est merveilleux.
Il ne peut qu'agir bénéfiquement sur tout ce qui vient y prendre place et il a eu l'humilité de se laisser dominer par son environnement."



Le Mucem vu de la passerelle qui accède au toit 

Le fort Saint-Jean et au fond le fort Saint-Nicolas


Le Mucem relié au fort Saint-Jean par la passerelle

En pénétrant dans cette exposition, je ne sais pas ce que je vais trouver, j'espère beaucoup, j'attends énormément, j'attends intensément et... je suis comblée. 
Tant de très belles choses, tant de manuscrits, tant de témoignages, tant de documents, tant de photos, tant de tableaux des peintres amis, tant de cinéma... Tout cela traité avec sobriété et élégance.

Et maintenant à nous...


La tranchée...

" Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux ou trois jours sans y penser, et brusquement, je la revois, je la sens, je l'entends, je la subis encore. Et j'ai peur."
Jean Giono - Je ne peux pas oublier 1934


Bernard Buffet, un des panneaux de "L'Enfer de Dante"

Après une introduction très sombre, très noire et le passage de la tranchée (3), puis une salle dédiée à Bernard Buffet, intitulée "L'enfer de Dante" (pas indispensable à mon avis), nous entrons enfin dans l'univers de Jean Giono.


De nombreux manuscrits s'offrent à notre lecture...

Les nombreux manuscrits s'offrent à notre lecture avide de "ses" mots. Les photos gigantesques du plateau de Canjuers et du Contadour nous proposent un décor à la mesure de l'homme, nous sommes bien en Haute-Provence ou plus exactement dans les Basses-Alpes ! 












Les salles se succèdent, toutes plus abondantes, on entre dans le domaine secret de l'écrivain. 
On y aborde tous les sujets, on y parle ouvertement de ce qui fâche sans tabou (4), on explique, on apprend, on découvre, on 'décortique', on justifie, on admire les oeuvres des peintres amis, on consulte les cahiers, les témoignages qui nous confortent dans nos connaissances.

Quelques oeuvres de peintres amis

" Je découvris que l'écriture pouvait être un dessin, je n'écrivais pas 'bien' j'écrivais 'beau'."


"J'adore écrire, ma première pipe allumée, je m'installe. Tous les jours, c'est le même bonheur. J'aime les mots. Écrire c'est être libre !"



Il faut aborder aussi des sujets plus sensibles et plus noirs :

Maladroit ? Imprudent ? Léger ? Jean Giono sera taxé à tort de collaborationniste en publiant des écrits durant la seconde guerre mondiale dans 'La Gerbe' et 'Signal', deux journaux de propagande, le premier français et antisémite et le second allemand.
Hélas, ces malentendus laisseront des traces et alimentent encore de nos jours une certaine rumeur. Et pourtant ...(5)




La Gerbe


Signal

Puis comme pour donner un peu plus de couleur et fuir la noirceur  du sujet précédent, une jolie bibliothèque s'offre à notre regard, posée tout près d'une gigantesque fresque littéraire... Encore à la mesure de l'homme ! Bref on ne sait plus où donner de la tête !! 




Le 'cabinet d'amateur' de Clémentine Mélois


Et enfin, repus de tant de lecture, essayant de conserver tous ces documents en mémoire, nous  pénétrons dans un espace beaucoup plus divertissant, sonore, joyeux et ludique avec un parcours consacré au cinéma.





Celui de Jean Giono avec 'Crésus', de Marcel Pagnol avec 'Jofroi de la Maussan', de Jean Paul Rappeneau avec 'Le Hussard sur le toit', de Raoul Ruiz avec 'Les âmes fortes', de François Leterrier avec 'Un roi sans divertissement'  ou encore de François Villiers avec 'L'Eau vive'




De nombreux extraits de ces films, tous adaptés de l'oeuvre sont projetés sur écran géant. Les affiches en grand format viennent illustrer l'ensemble rajoutant de la gaîté, de la musique et de la couleur et évoquant en chacun de nous de merveilleux, tendres et divertissants souvenirs.





Pour avoir eu la chance d'assister à la session "Giono, artisans d'images", je peux attester que cette dernière partie de l'exposition adhère parfaitement à tout ce que nous avons vu et entendu ensuite à l'auditorium du Mucem sous la direction de Jacques Mény et avec les participations de Nicolas Pagnol et Jean-Pierre Darroussin.






A l'auditorium, Jacques Mény (7) et Nicolas Pagnol (petit-fils de Marcel) 


Jean-Pierre Darroussin en lecture du "Hussard sur le toit"

Ce dimanche soir 19 janvier, après ces quatre jours de temps suspendu et la projection du 'Hussard sur le toit', je ne peux pas dire exactement ce que j'ai ressenti sur l'instant. 
Je savais que c'était terminé et que la nostalgie (déjà en route...) allait très vite s'installer.
Je savais  aussi que désormais tous ces souvenirs seraient gravés dans ma mémoire, que l'émotion et les sentiments de reconnaissance et de  fierté étaient intacts ; que tout ce que je venais de vivre était tel que je l'avais imaginé et surtout, surtout, que je serais bien restée encore un petit peu...
La vie est faite de petits bonheurs à partager et ce séjour marseillais en fut un... MERCI !! 



Quelques achats ...

Le très beau catalogue de l'exposition


Quatre mois ont passé,
Quatre mois si vite écoulés,
Il nous reste les souvenirs,
Il nous reste de quoi réfléchir,
Il nous reste les mots pour le dire,
Il nous reste les mots pour l'écrire, 
Il nous reste dès demain,
Qu'à inscrire le mot FIN... 


Dernière image du Mucem ce soir du 19 janvier... et la nostalgie s'installe déjà... !! 


Lucien Jacques au musée 'Regards de Provence'


"Le sourcier de Giono"



En marge de l'hommage du Mucem nous avons pu voir au musée 'Regards de Provence', juste en face sur le parvis, une exposition  intitulée 'Lucien Jacques, le sourcier de Giono', riche elle aussi de l'oeuvre de cet artiste pluridisciplinaire comme le dit Jacky Michel (6)  qui se charge à longueur d'année de faire reconnaitre et perdurer l'oeuvre de Lucien. 


Lucien Jacques et Jean Giono

Voici ce que dit Sylvie Giono de Lucien : " Quand j'ai connu Lucien Jacques, il y avait fort longtemps qu'il faisait partie de notre famille. Il était arrivé dans les années 1920 à Manosque pour rencontrer mon père. immédiatement, il s'est intégré, devenant un membre à part entière de la maison Giono." (...) de quatre ans plus âgé que mon père, il était en communion d'idées avec lui."



Aquarelle de Lucien Jacques, le pont transbordeur à Marseille

Et un dernier achat ... le catalogue...

(1) Titre à la une de 'La Provence' au lendemain de l'inauguration.

(2) André Poggio - Trésorier de l'association des Amis de Jean Giono et vice-président et trésorier de "L'Essaillon" : https://essaillon-sederon.net/POGGIO-Andre, écrivain dont les sages paroles, toujours poétiques,  la belle écriture et les connaissances Gioniennes me sont d'une grande aide.

(3) Je ne reviendrai pas sur la vision d'Emmanuelle Lambert, commissaire de l'exposition et aussi auteure du "Giono Furioso" qui considère que l'écrivain est "né dans les tranchées" je ne suis pas assez qualifiée pour juger de ce parti-pris.
Par contre, Je suis capable d'écouter son avis et celui des autres, différents comme celui d'André Lombard (voir son blog : http://sergefiorio.canalblog.com/) ou plus mesuré et complémentaire  comme celui d'André Poggio. Comme j'ai su écouter la parole sage et concrète de mon amie Michèle Ducheny (auteure de Giono et les peintres : http://users.skynet.be/giono.peintres/ ) qui m'a expliqué l'autre vision des choses et qui m'aide aussi beaucoup, notamment à la re-lecture. 
Pour avancer, je pense que chacun a la liberté de s'exprimer et de raisonner différemment, tout peut s'entendre, tous ces avis sont bons à prendre et seul jean Giono pourrait nous expliquer... 

Autant j'ai apprécié le beau travail de la Commissaire sur cette exposition très réussie et sur le magnifique catalogue qui l'accompagne, autant je suis beaucoup plus réservée sur son livre "Giono Furioso". 
Certes l'analyse est intéressante mais le contenu me laisse un grand malaise. Certaines choses intimes dévoilées n'ont pas leur place, ce n'était pas le 'moment' et réduire à quelques lignes l'aventure du Contadour comme une vulgaire histoire d'adultère, là c'est trop... Tous ces propos relèveraient plutôt d'une biographie à ré-écrire, me semble-t-il.
J'apprécie encore moins le ton beaucoup trop familier, incorrect, employé pour s'adresser à l'écrivain, je cite en exemple : " Son oeuvre et nos quatre-vingts ans d'écart m'autorisent également cette familiarité. Il est si grand, et si loin. Et après tout, il est mort."
E bien non, cela n'autorise pas tout... et cet ouvrage vient quelque peu ternir la belle fête annoncée... C'est juste mon avis...

(4) et (5) Pacifiste intégral, Giono a refusé de s'engager durant la seconde guerre mondiale. En 1944 il sera arrêté "Pour acte de collaboration avec intention de servir l'ennemi" ...Mais aucune charge ne sera retenue contre lui et il sera libéré.
Lors de l'exposition de nombreux documents dévoilent que l'écrivain a caché chez lui de nombreuses victimes de l'occupation. (source internet).

(6) Jacky Michel est le président de l'association des Amis de Lucien Jacques  qui se situe à Gréoux-les-bains.
 http://amislucienjacques.fr/ 
A la suite de l'évènement marseillais, une exposition similaire largement développée se tient au château de Gréoux jusqu'au 24 mai 2020.
https://www.tourisme-alpes-haute-provence.com/evenement/apidae-exposition-lucien-jacques-salle-des-gardes-5390725/

(7) Jacques Mény est le Président de l'Association des Amis de Jean Giono, il oeuvre chaque jour pour nous régaler de ces connaissances gioniennes.
 http://www.rencontresgiono.fr/lassociation.html








jeudi 24 novembre 2016

Pierre Magnan ..." Pour saluer Giono" Episode 2



Pierre Magnan et Jean Giono

Episode 2 (1939 - 1970)



"Peu d'écrivains ont autant célébré Giono que Magnan. Toute l'œuvre de Pierre Magnan compose un magnifique hommage à un écrivain qu'il n'a cessé d'admirer." (Dictionnaire Giono - classique Garnier)




Pierre Magnan (Source internet) 



Pour Michèle et les deux André(s)... Ils se reconnaîtront ...


Quand Pierre Magnan parle de sa rencontre avec Thyde Monnier (1) avec laquelle il entretiendra par la suite une relation soutenue :


Thyde Monnier (Collection personnelle André Lombard)



"C'est Giono, durant l'été 1939, qui me présente à Thyde Monnier. Tout de suite elle lui demande : il veut écrire ? Et Giono répond : Non. Il veut juste se cultiver.
Elle habite l'hôtel Pascal pour l'été. Elle m'écrit durant l'automne pour me demander de lui trouver quelque chose à louer car elle veut quitter Bandol. Elle le trouvera finalement toute seule et viendra s'installer à Manosque".
Pierre Magnan - Pour saluer Giono




L'hôtel Pascal de Manosque (source Delcampe)

"En ces années, quoi qu'on en ait dit, Giono est à nous seuls. Nous, les jeunes manosquins qui ne le lâcheront jamais, ne varieront jamais dans nôtre enthousiasme croissant et le besoin que nous avons de le lire." 
C'est que en 1942 le reflux des pacifistes sera total. On ne nous opposera plus sa porte, aucun ami présent en visite. (...) Il sera seul, disponible, à la merci de notre amitié."

(...) J'ignore si le bruyant ballet de notre insouciance (C'était le temps où nous étions toujours agglomérés par huit ou dix, tant filles que garçons) était capable de tirer Giono hors des cuisants souvenirs que lui laissait le récent passé, mais il est de fait qu'il recherchait notre compagnie et ne se trouvait jamais déplacé parmi nous."
Pierre Magnan - Pour saluer Giono

En novembre 1942 Pierre Magnan se doit de rejoindre les "chantiers de jeunesse" (2) au Lavandou :

"Mais ce jour du 10 novembre 1942 où je vais faire mes adieux à Giono, je n'ai pas le cœur à ironiser. Je ne la mène pas large. Je vais perdre à la fois Manosque, pour la première fois, Giono et Thyde Monnier."
Pierre Magnan - Pour saluer Giono


"J'atteindrai le premier la porte du camp. Il s'agit, bornant le passage, d'une légère claie verticale en fragiles roseaux. Comme sommant un arc de triomphe, une banderole en contreplaqué est accrochée entre deux poteaux fragiles. (...) Sur cette surface vert forestier est inscrite en lettres dorées qui commencent à passer la devise du camp : "Tu serviras"."
Pierre Magnan - Un monstre sacré


Blason du camp du cap Bénat (source internet - wikipedia)

Bien que Jean Giono lui ait laissé espérer une réforme dans les deux jours qui suivaient, Pierre Magnan passera bel et bien ces huit mois au Lavandou. Après avoir refusé d'aller en Allemagne il séjournera dans un camp disciplinaire de Nyons dans la Drôme d'où il s'évadera et il ne rentrera à Manoque que le 13 octobre 1944. 


La gare de Nyons (source Delcampe)

"Il ne me souvient ni du parcours ni de la manière dont je gagnais le camp éloigné de quelques kilomètres de la gare de Nyons."
Pierre Magnan - un monstre sacré

La Gendarmerie Nationale de Nyons (collection personnelle)


Le palais de justice de Nyons et les anciennes prisons (collection personnelle)
(Je n'ai pas trouvé trace sur place du camp no 5)

Du camp disciplinaire de Nyons où l'on m'avait muté pour insoumission après m'avoir dégradé, je me suis évadé en peine nuit."

"J'ouvris la porte sur la nuit. Je n'étais plus qu'un homme libre qui avait choisi son destin. J'enfourchai la bécane. (...) Je m'élançai comme un coureur, léger, aérien, la conscience tranquille. Une bouffée de bonheur me monta à la tête et je fus soudain armé d'un sourire qui ne me quitta plus jusqu'à Montélimar".
Pierre Magnan - un monstre sacré


La gare de Montélimar (source Delcampe)


Il arrive à la gare de Montélimar où l'attend Thyde Monnier, pour échapper à la Gestapo ils se réfugient à Saint-Pierre d'Allevard  :

" Il y avait sur un banc de jardin qu'un seul personnage assis et qui m'attendait. C'était Thyde Monnier, ma Nounoune comme je l'appelais." 
Pierre Magnan - un monstre sacré



Saint Pierre d'Allevard (source Delcampe)


Thyde y connait un instituteur, Monsieur Dalet, ils y resteront de juin 43 à octobre 44, Pierre y écrira "L'Aube insolite" (3) :

"Il a compris dès les premières paroles. Il s'écrie :
- Il se planque ? Mais vous n'avez pas besoin d'expliquer ! Ici tout le monde se planque." (...) Séance tenante, après le repas, Dalet nous conduit à l'hôtel Biboud, le seul du pays.
Pierre Magnan - un monstre sacré


" Le 13 octobre 1944, je rentre à Manosque toute honte bue, c'est-à-dire : je suis ce parfait personnage de Giono qui a réussi. J'ai refusé d'aller en Allemagne."
Pierre Magnan - Pour saluer Giono


C'est à ce moment, en septembre 1944, que Jean Giono, accusé injustement de collaboration (un prétexte pour le protéger) est emprisonné à Digne, puis transféré à sa demande à Saint-Vincent-les-Forts dans une ancienne caserne qui sert à l'époque de prison. Il y restera jusqu'au 31 janvier 1945". (voir l'article "Un camp de concentration dans la montagne".)





La porte du fort de Saint-Vincent



Entre temps, Pierre Magnan aura publié son premier roman "L'Aube insolite" et rentrera à Manosque, contrat en poche pour l'écriture de 3 autres livres...


Jean Giono sur le petit chemin qui mène au Paraïs (année 45 -50)
Source - Les promenades de Jean Giono


"Giono est rentré à Manosque. Je vais le voir. À lui non plus je ne raconte rien, je ne parle pas du contrat, je ne parle pas non plus de 'L'Aube insolite'." (...)
Pierre Magnan - Pour saluer Giono

Une époque pas très glorieuse :

Non, pas très glorieuse cette époque à Manosque, la rumeur ("sport numéro 1 à Manosque" selon Pierre Magnan) qu'ont laissé courir certains manosquins amis et certains intellectuels parisiens du Comité National des Écrivains (4) avec à leur tête Louis Aragon, accusant Jean Giono de collaborationniste, antisémite, fasciste, le traînant dans la boue... est proprement scandaleuse et c'est faire fi de tout ce qu'a pu faire, écrire et dire l'écrivain pour aider son prochain pendant cette guerre. Le reniement dont il a souffert, (Giono fut interdit de publication pendant cinq ans), n'inspire que du dégoût, mais le mal est fait et persiste encore aujourd'hui dans certains esprits qui parlent à "tort et à travers"... Même si la ville de Manosque s'est largement rattrapée depuis.


"Je ne m'enorgueillis pas de grand chose dans ma vie sauf d'avoir été le seul (...) avec son compagnon de tranchée Ludovic Eyriès à oser venir frapper à la porte de Giono". 

"Pour être avec Giono, le proclamer, entre novembre 45 et juin 46, il fallait partager son humiliation et son abaissement" .

" Aragon et le CNE, Manosque et ses envieux, le reniement de ses amis de toujours, desquels il aura la faiblesse d'oublier un jour les offenses."
Pierre Magnan - Un monstre sacré


Le 20 janvier 1946, Jean Giono enterre sa maman Pauline, Pierre Magnan l'accompagne dans ce douloureux moment : 

Jean Giono et sa maman Pauline sur le chemin du Paraïs

"J'ai dit qu'à l'enterrement de sa mère, il n'y avait pas assez d'amis pour descendre le cercueil par les dix marches qui conduisaient au seuil de notre église" Pierre Magnan - Un monstre sacré

"Alors Giono s'emparera de la quatrième poignée et tous les quatre nous remonterons la "Pauline Jean" jusqu'au Corbillard".
Pierre Magnan - Pour saluer Giono


Le parvis de l'église (Source Delcampe)

"Où sont-ils les compagnons chaleureux et tutoyants qui tant l'encensèrent en ses jeunes années ? (...) Oui, je sais, je suis injuste : certains étant morts étaient bien empêchés d'y être? Plusieurs aussi se pardonnèrent facilement leur absence. Certains ne le surent pas ou trop tard. Certains étaient en conférence ou en congrès. Certains avaient ce jour-là un comité de lecture. 
Mais quoi ? Tous ? "

Le tombeau au cimetière de Manosque 

"Je vis Giono devant moi qui regagnait seul sa maison."

"Je ne crois pas que Giono ait jamais tenu ma richesse intérieure en grande estime ni même qu'il se fût jamais avisé qu'elle existât. J'en ai parfaitement conscience en janvier 1946. Je suis écrasé par la tâche que je m'assigne : je sais que je ne fais pas le poids.  Je pense à Lucien, je pense à Berthoumieu, je pense à Jean Vachier, à Hélène Laguerre, à Fluchère, à Jean Paulhan (5), à tant d'autres. Pourquoi ne sont-ils pas ici ? C'est le moment, il a besoin d'eux."

(...) "Sur la route où il est seul, je le rejoins, je m'installe à ses côtés, je marche à son pas. Je ne dis rien. Un instinct infaillible m'avertit que je ne dois ni prononcer une parole de consolation ni lui tendre la main. 

"Je suis là et je marche c'est tout."

(...) "Ce fut seulement quelques cent pas avant le Paraïs que Giono ôta sa pipe de la bouche pour me dire :

- Regarde comme c'est curieux, j'étais justement en train d'écrire la mort de la grand-mère dans le livre que j'ai commencé." 
Pierre Magnan - Pour saluer Giono



Je tenais absolument à retracer ici ce chapitre qui me touche. Mon ami André Poggio (6) m'a dit : "Pierre Magnan n'a besoin d'aucun effort pour suivre Giono, dans l'ombre. Il se laisse porter..." C'est tout à fait vrai, mais Giono à cet instant de sa vie se satisfait de cette relation amicale et de la présence de Pierre (devenu adulte) à ses côtés,  "Giono c'est un homme qui accueille, qui met à l'aise, qui donne de l'importance à celui qui n'en a pas."
Doit-on penser pour autant que dans ce cas présent cette "amitié" n'était pas sincère ou bien qu'elle était à sens unique ?  Je ne le crois pas... Que ceux qui savent me contredisent ! 

Même si c'est ce pays de Haute-Provence qui m'a amenée à Jean Giono et non l'inverse, si j'avais vécu ces moments, je pense que j'aurais agi de la même façon que Pierre Magnan, je n'aurais pas douté de la sincérité de l'auteur, j'aurais aimé... qu'on me chasse le soir du Paraïs au son du "cri rituel"  de Madame Giono :

- Jean ! A la soupe !!! 

Mais tout cela n'aurait pu arriver que si j'avais eu le privilège d'être native de ... Manosque !

Et Pierre Magnan de déclarer : 

" Pour moi c'est la période de ma vie où Giono va être le plus proche de moi. (...) Il est toujours seul. Sauf son travail, il n'a rien à faire, à part de me parler. Il est en train d'écrire "Mort d'un personnage". (7)
(...) C'est pendant cette période où nous sommes en tête-à-tête tous les soirs qu'il m'apprendra le plus de choses sur le métier d'écrivain, qu'il m'apprendra l'exigence suprême : tout sacrifier à ce que l'on veut faire et surtout ce à quoi on tient le plus."




"sur ces entrefaites un matin de Février, le facteur me dépose sur les bras, contre signature, un paquet de trois kilos. Ce sont vingt-cinq exemplaires de "L'Aube insolite" (...)
Le dilemme c'est Giono. Mon premier mouvement m'incite à lui taire cette sortie mais je réfléchis qu'il saura tôt ou tard. Un soir je me décide et je lui apporte timidement le volume. J'ai honte, je suis bien conscient qu'au moment où lui, est interdit de publication, moi j'arrive là avec un livre fraîchement imprimé (...)

Giono feint l'enthousiasme. Il me conseille d'envoyer un exemplaire à son ami Maxime Girieud (8) et à Lucien Jacques (9), le premier ne m'accusera jamais réception et le second m'écrira un mot rapide ainsi conçu et par retour courrier : " Mon vieux Pierre, j'ai bien reçu "L'Aube insolite" et je te suis reconnaissant d'avoir bien voulu me l'envoyer. Il me tarde de faire un plongeon dedans". Je n'en entendrai jamais plus parler.
(...) Giono de même, d'ailleurs, tout en me recommandant de l'envoyer à tel ou tel, ne m'encouragea ni me blâma.

(...) Les manosquins rencontrés, (...) Ils sont les amis de Giono, ils ont reçu sa confidence à mon sujet, elle finira par parvenir jusqu'à moi, à l'aide de quelque bonne âme. Il a relevé dans "L'Aube insolite" nombre d'invraisemblances qui l'ont fait sourire. À part ça, il est toute indulgence. Voilà ce qu'il ne me dira jamais."
Pierre Magnan - un monstre sacré


En 1951, Pierre Magnan s'exile à Nice puis en région parisienne et travaille aux entrepôts frigorifiques "STEF", il ne reviendra à Manosque que vingt-cinq ans plus tard :

(...) "Je reverrai Giono deux fois encore. La première c'était en 1961 ou 62. Je lui proposai de l'amener, si cela lui faisait plaisir, faire un tour en voiture, revoir un peu ces pays que peut-être il trouverait pacifiés maintenant que le souvenir était loin. 
- Moi, tu sais, me dit-il, maintenant, je suis devenu un homme de cabinet. (10)
Cette expression (...) me fit mal à entendre dans la bouche de cet homme que j'avais connu le profil coupant le vent, humant le grand air des plateaux qu'il parcourait à grandes enjambées et ayant des certitudes absolues sur les beautés du monde et pensant alors s'y fondre en une dévotion éperdue."



"le profil coupant le vent,  humant le grand air des plateaux..."

"Le dernier geste qui eut lieu entre nous, un jour où déjà la souffrance était entrée en lui pour le désenchanter, ce fut de ma part de lui demander :
- Qu'est-ce que vous lisez en ce moment ?
- Ça ! me dit-il.
Et de sa part à lui de me tendre un petit livre d'à peine deux cent pages.
- Lis ça. C'est lumineux !

C'était le livre de Gaston Bouthoul (11) : "Deux cent millions de morts" qui lui était dédicacé. Ce livre je ne lui ai jamais rendu.

Mais Giono était absent de Gaston Bouthoul, de la philosophie de la guerre et du monde réel. Ma présence pour lui était sans importance.

Un jour en 1949, il m'avait dit :
- J'ai vu Gide, mais je n'ai pas pu beaucoup lui parler. Il était déjà occupé par la grande affaire de sa mort."

"C'était une occupation de ce genre qui isolait Giono la dernière fois où je le vis". Pierre Magnan - Pour saluer Giono



La bibliothèque de Jean Giono au Paraïs
(source - Les promenades de Jean Giono)



"Ici dépose sa canne le Giono promeneur. Il a enfermé dans son œuvre tout un pays irréel qui parle à l'âme plus que s'il n'existait. Il a enfermé des personnages qui continuent à vivre en nous...(...) Pénétrer dans un livre et oublier le monde sera toujours un acte solitaire, un acte individualiste, un acte élitiste. Et ce ne sera jamais partagé par tous, donné à tous." 

"À plus forte raison pour Giono, mais celui qui ira se promener dans cet univers tout entier inventé - rendu possible et fraternel par le seul pouvoir de l'écriture - en sortira lavé des souillures, armé d'une nouvelle énergie et surtout consolé. Le pouvoir consolateur de l'œuvre de Giono aura fait ses preuves dans ce siècle même. Elle ne le perdra jamais."
Pierre Magnan - Les promenades de Jean Giono




Je terminerai cet article par un extrait du joli texte qu'a publié, en écho au mien, mon ami André Lombard (12) sur son blog et dont voici le lien :


"J'aime penser que Giono "savait", en subtil sourcier qu'il était jusqu'aux tréfonds des moelles, que Magnan écrirait tout cela un jour ou l'autre à partir de la chronique "enregistrée" de leur relation. Magnan disant lui-même que sa mémoire est infaillible, Giono, à coup sûr, le sachant et lui faisant dès lors confiance à ce sujet sur tous les plans. Et j'aime penser aussi qu'en se taisant, Giono laissait généreusement à son cadet tout le loisir, la place toute entière, lui cédant en même temps la primeur et l'exclusivité de ce récit. Ce qui est là, peut-être bien, des années à l'avance, un signe de reconnaissance et me rappelle la parole de Giono, en 34, envers Serge descendant du train et posant le pied en gare de Manosque, c'est-à-dire à brûle-pourpoint : « Maintenant tu vas aller plus loin, tu vas faire mon portrait ! » C'est différent, mais peut-être semblable : ainsi agissait plus qu'amicalement Giono avec certains jeunes tempéraments, les éclairant à eux-mêmes en poète, de l'intérieur.
André Lombard - Sergefiorio.canalblog 




(1) Thyde Monnier : 1887-1967  Ecrivaine féministe de son vrai nom Mathilde Monnier.

(2) Chantier de la jeunesse : Organisation paramilitaire française de 1940 à 1944 - Lieu de formation et d'encadrement de la jeunesse française.

(3) "L'aube insolite" : Premier roman de Pierre Magnan - publié en 1945 chez Julliard / réédition 1998 chez Denoël.

(4) Comité national des écrivains CNE : Organisme d'obédience communiste camouflée où régnait Louis Aragon qui ne pardonnait pas son génie à Jean Giono.

(5) Contadouriens de la première heure

(6) André PoggioTrésorier de l'association des amis de Jean Giono

(7) Mort d'un personnage : Le plus petit roman de Jean Giono racontant la vieillesse de Pauline de Théus  (L'héroïne du "Hussard")  largement inspiré de la mère de l'écrivain - 1949 - Grasset.

(8) et (9) Lucien Jacques : ami de Giono (voir épisode 1) Maxime Girieud : Professeur de lettres et écrivain ami de Lucien Jacques.

(10) Un homme de cabinet : homme que sa profession oblige à travailler dans le cabinet - on le dit aussi d'un homme que ses aptitudes rendent surtout utile dans le conseil.

(11) Gaston Bouthoul :  de son vrai non Gaston Bouthboul sociologue français - Spécialiste du phénomène de la guerre.

(12) André Lombard :auteur et ami du peintre Serge Fiorio (cousin de Jean Giono) son blog sergefiorio.canalblog.com/