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jeudi 7 mai 2020

"Les Vraies Richesses", une petite librairie à Alger et un grand livre à Manosque ...


"Les Vraies Richesses"


Hommage à Jean Giono, à Edmond Charlot et ses amis...


Une petite librairie à Alger (qui a tout d'une grande) et un grand livre à Manosque..


A Alger...


A Manosque...


"Quand on participe profondément aux joies du monde, on attend cette connaissance totale avec joie, on accepte de voir ceux qu'on aime poursuivre ainsi leurs destinées. Les lois de la matière nous obligent à l'espoir."
Jean Giono - Préface aux Vraies Richesses

"Car la richesse de l'homme est dans son coeur. C'est dans son coeur qu'il est le roi du monde. Vivre n'exige pas la possession de tant de choses."
Jean Giono - Les Vraies Richesses



La petite boutique de la rue Charras à Alger...


Grâce à mon amie Michèle, j'ai découvert un joli roman : 
"Nos richesses"

Il s'agit du troisième ouvrage de Kaouter Adimi. Romancière de 31 ans, née à Alger.




C'est le récit des aventures d'Edmond Charlot qui voua sa vie à la littérature et aux livres et à leurs auteurs et qui ouvrit dans les années 30 une petite librairie (qui aura tout d'une grande) à Alger, qui fut vite une maison d'édition, une galerie d'art, une bibliothèque de prêt, un salon ... Tout cela à la fois !

Il y côtoya les grands romanciers de son temps, il fut le découvreur d'Albert Camus et publia tour à tour, Jules Roy, Emmanuel Roblès, Jean Giono, Saint-Éxupéry, Vercors, Bosco et beaucoup d'autres grandes plumes.
"Nos richesses" est avant tout le roman de la vie d'Edmond Charlot, un hommage à la littérature et une plongée dans l'Algérie d'hier et celle d'aujourd'hui.
Vous vibrerez au rythme de l'histoire de ce pays, de la Seconde Guerre mondiale, de l'Algérie française et de l'indépendance, des exactions de toutes sortes et autres attentats, le tout écrit avec beaucoup de justesse et de discernement.
Vous croiserez Abdallah le gardien du lieu, les commerçants du quartier 'Charras', les écrivains tous plus illustres mais aussi Ryad, jeune étudiant français sans état d'âme,  venu en stage à Alger et chargé de vider la librairie avant sa fermeture.


L'amitié Albert Camus - Edmond Charlot :

Albert Camus, de deux ans son aîné, Edmond Charlot l'avait rencontré au lycée Bugeaud d'Alger en 1933. Ils se lient d'amitié et subissent ensemble l'influence du philosophe Jean Grenier, alors enseignant à Alger. C'est lui qui encouragera Edmond à fonder à 21 ans "Les Vraies Richesses" sous l'égide de  Jean Giono et avec son autorisation.


Edmond Charlot à 21 ans


Voici donc quelques extraits de ce beau récit...

"Dès votre arrivée à Alger, il vous faudra prendre les rues en pente, les monter puis les descendre. (...) Descendre encore, s'éloigner des cafés et bistrots. (...) Vous serez seul, Car il faut être seul pour se perdre et tout voir. Il y a des villes, et celle-ci en fait partie, où toute compagnie est un poids. On s'y balade comme on divague, les mains dans les poches, le coeur serré.
(...) Et le bleu au-dessus des têtes et à vos pieds, le bleu ciel qui plonge dans le bleu marine, tache huileuse s'étirant à l'infini. (...)
Mais vous, vous emprunterez les ruelles qui font face au soleil, n'est-ce-pas ? Vous parviendrez enfin rue Hamani, l'ex-rue Charras. Vous chercherez le 2 bis que vous aurez du mal à trouver car certains numéros n'existent plus. Vous serez face à une inscription sur une vitrine : "Un homme qui lit en vaut deux". Face à l'Histoire, la grande, celle qui a bouleversé ce monde, mais aussi la petite, celle d'un homme, Edmond Charlot, qui en 1936, âgé de vingt et un ans, ouvrit la libraire de prêt "Les Vraies Richesses"."
Kaouter Adimi - Nos Richesses




Journal d'Edmond Charlot 9 mai 1936 :

"Reçu hier une lettre de Jean Giono ! Le grand. Je lui avais écrit sans trop d'espoir pour lui demander l'autorisation d'appeler la librairie Les Vraies Richesses en référence à son récit qui m'avait ébloui et où il nous enjoint à revenir aux vraies richesses que sont la terre, le soleil, les ruisseaux et finalement la littérature (qu'est-ce qui peut être plus important que la terre et la littérature ?) J'ai failli déchirer la lettre en l'ouvrant. Fébrilité. J'ai répété à Jean Pane ce qu'il nous répond : " Vous pouvez bien évidemment utiliser ce titre. Il ne m'appartient pas."

Ou toujours le 19 juillet 1936 :

"Découverte d'un très beau récit de Giono dans une revue touristique. Le titre laisse rêveur : Rondeur des jours. Grande impression. J'ai été entraîné et plongé dans la Provence et le midi. Texte parfait pour la librairie et qui rejoint ma conception des choses : une pensée méditerranéenne qui ne se limite pas au môle d'Alger. J'ai écrit une nouvelle lettre à Giono afin de lui demander l'autorisation d'imprimer ce texte et de l'offrir à mes clients en guise de cadeau d'ouverture."


Et le 27 août 1936 ...

"Reçu la réponse de Giono. Homme de coeur ! Il dit oui, il dit bien sûr, il est touché. Impression lancée à 350 exemplaires pour mes 350 premiers clients. Suis-je trop ambitieux ? Non, ça marchera !"


Et le 13 septembre 1936 ...

"Je passe beaucoup de temps à imaginer la future identité graphique de mes livres, les couvertures, les polices de caractère. Pour "Rondeur des jours" je m'amuse à positionner les lettres en un rond parfait. Ce sera très réussi je crois."
Kaouter Adimi - Nos richesses




"Je m'amuse à positionner les lettres en un rond parfait."


"Non, les jours sont ronds. Nous n'allons vers rien, justement parce que nous allons vers tout, et tout est atteint du moment que nous avons tous nos sens prêts à sentir. Les jours sont des fruits et notre rôle est de les manger, de les goûter doucement ou voracement selon notre nature propre, de profiter de tout ce qu'ils contiennent, d'en faire notre chair spirituelle et notre âme, de vivre. Vivre n'a pas d'autre sens que ça."
Jean Giono - Rondeur des jours

Cette toute petite boutique de la rue Charras (aujourd'hui rue Hamani) devient vite un foyer culturel de ce que Camus appellera "La nouvelle culture méditerranéenne".


Le premier peintre exposé sera Bonnard et Camus le premier auteur édité avec Révolte dans les Asturies, l'Envers et l'Endroit, Noces... beaucoup d'autres suivront...



Quelques extraits où il est question d'Albert Camus.

28 décembre 1938 :

"La tâche n'est pas facile mais les réseaux se créent et les amitiés sont là. Camus vient souvent à la librairie pour donner un coup de main. Il remplit les fiches d'abonnement, achète des livres quand il a quelques pièces, et en loue d'autres. Il s'installe sur les marches ou sous la petite mezzanine et il écrit. Il est ici chez lui.
Lui ai annoncé hier que j'avais vendu le tout dernier exemplaire de son premier livre "L'envers et l'endroit". 350 exemplaires."

31 janvier 1939 :

"Lecture d'un texte de Camus au beau titre de "Noces". Il y a tout ce que nous vivons ici en Algérie. Très touché et ému. L'étrange pudeur qu'il y a entre Albert et moi m'obligera à réfréner mon enthousiasme lorsque je lui en parlerai. Je le publierai en mai à un tirage important, 1225 exemplaires.
Kaouter Adimi - Nos richesses







"Vous irez aux Vraies Richesses, n'est-ce-pas ? Vous prendrez les ruelles en pente, les descendrez ou les monterez. Vous vous abriterez du soleil qui tape fort. (...) Vous vous arrêterez à la terrasse d'un café et vous n'hésiterez pas à vous y installer pour discuter avec les uns et les autres. Ici nous ne faisons pas de différence entre ceux que nous connaissons et ceux que nous venons de rencontrer. On vous écoutera avec attention et on vous accompagnera dans vos balades. Vous ne serez plus seuls. (...) Et le bleu au dessus de vos têtes vous donnera le tournis. Vous vous dépêcherez, le coeur battant, vous irez rue Charras qui ne s'appelle plus comme ça et vous chercherez le 2 bis. Vous vous trouverez devant l'ancienne librairie des Vraies Richesses dont j'ai imaginé la fermeture mais qui est toujours là. (...) Vous attendrez le gardien des lieux, assis sur la marche à côté de la plante. Il se dépêchera lorsqu'il vous apercevra. Vous pénétrerez enfin dans ce petit local qui fut le point de départ de tant d'histoires. Vous lèverez la tête pour voir le grand portrait de Charlot qui sourit, derrière ses lunettes noires. Oh, pas d'un grand sourire, c'est plus l'air de dire : "Bienvenue, entrez, prenez ce qui vous plaît".

Un jour, vous viendrez au 2 Bis de la rue Hamani, n'est-ce-pas ??


Kaouter Adimi - Nos richesses


Comment ne pas avoir envie de répondre "Oui, je viendrai ...



L'intérieur de la petite librairie "Les Vraies Richesses" et au fond, l'escalier 
qui monte à la sous-pente où Albert Camus corrigeait ses manuscrits...

Et pour terminer quelques lignes d'Albert Camus qui nous parle d'Alger


"La mer au tournant de chaque rue..."


"Ce qu'on peut aimer à Alger, c'est ce que tout le monde vit : la mer au tournant de chaque rue, un certain poids du soleil, la beauté de la race. Et, comme toujours dans cette impudeur  et cette offrande se retrouve un parfum plus secret. (...) Ici, du moins, l'homme est comblé, et assuré de ses désirs, il peut alors mesurer ses richesses."


La Kasba d'Alger et ses escaliers (source internet)


"Il faut sans doute vivre longtemps à Alger pour comprendre ce que peut avoir de desséchant un excès de biens naturels. Il n'y a rien ici pour qui voudrait apprendre, s'éduquer ou devenir meilleur. Ce pays est sans leçons. Il ne promet ni ne fait entrevoir. Il se contente de donner, mais à profusion. Il est tout entier livré aux yeux et on le connaît dès l'instant où l'on en jouit."



Le port au crépuscule - photo Habib Boucetta Photographie


"Mais il y a surtout le silence des soirs d'été.
Ces courts instants où la journée bascule dans la nuit, faut-il qu'ils soient peuplés de signes et d'appels secrets pour qu'Alger en moi leur soit à ce point liée ? Quand je suis quelque temps loin de ce pays, j'imagine ces crépuscules comme des promesses de bonheur."
Albert Camus - Noces (l'été à Alger)




source internet - JM Culture - Canal blog


"Un homme qui lit en vaut deux"


Voici,  la conclusion de ce bel ouvrage, selon les mots de Jules Roy (2) un bien bel hommage à Edmond Charlot :"De cette aventure, dont nous ne savions pas que nous la vivions, il reste pour moi une sorte de mirage. Charlot fut un peu notre créateur à tous, tout au moins notre médecin accoucheur. Il nous a inventés (peut-être même Camus), engendrés, façonnés, cajolés, réprimandés parfois, encouragés toujours, complimentés au-delà de ce que nous valions, frottés les uns aux autres, lissés, polis, soutenus, redressés, nourris souvent, élevés, inspirés. (...) Pour aucun d'entre nous, jamais un mot qui aurait pu laisser entendre que notre génie n'était pas seulement l'avenir de l'Algérie et de la France mais celui de la littérature mondiale. Nous étions les poètes les plus grands, les espoirs les plus fantastiques, nous marchions vers un avenir de légende, nous allions conférer la gloire à notre terre natale. (...) Nous fûmes son rêve. C'est là que le sort le trompa, injustement, comme se lève une tempête sur une mer calme. À la bourrasque il tint tête tant qu'il put. Je ne l'entendis jamais protester contre l'injustice ni maudire l'infortune qui l'accablait. Par moments, il m'arrive de me demander si nous avons été dignes de lui."

Jules Roy - Mémoires barbares


Edmond Charlot - dessin de Jacques Ferrandez (1)

(1) Jacques Ferrandez : Auteur de bandes dessinées et illustrateur né à Alger en 1955 - il a publié récemment la bande dessinée "Le chant du Monde"  d'après le roman de Jean Giono. https://www.syros.fr/auteur/jacques-ferrandez.html


(2) Jules Roy : Écrivain et officier français, né en 1907 à Bougara en Algérie et décédé en 2000 à Vézelay où il est inhumé.


Pour en savoir plus sur l'aventure d'Edmond Charlot, se référer aux sites suivants : 

Edmond Charlot - site perso 

Edmond Charlot éditions

4 commentaires:

  1. Bravo pour ce bel article si bien documenté.
    Plaisir de découvrir l'intérieur de la libraire et sa vitrine.
    J'espère voir de mes yeux un jour Alger...

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    1. Merci Nico de cet encouragement, si tu vas à Alger, emmène moi dans tes bagages et nous irons ensemble rue Hamani !!

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  2. ça donne envie ! Alger ... et cette librairie ? Un rêve de voyage, peu réaliste par les temps qui courent. Merci de nous y avoir transporté quand même

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    1. Certes Michèle, pourtant je nous vois bien enquêter toutes les deux et déambuler dans Alger ... peut-être dans une autre vie... en tout cas merci, tu es toujours fidèle pour me soutenir !!

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